Invitation à la prière et à la réflexion, adressée à des monastères de vie contemplative pour accompagner le Projet Méditerranée.

Extraits de la lettre de Mgr Gualtiero Bassetti, Cardinal, Archevêque de Pérouge-Città della Pieve, Président de la Conférence Épiscopale d’Italie. 

                                                                                                                           5 septembre 2021

Bien chère Mère, 

Je reviens vers vous et vos Soeurs, pour vous demander comme il y a deux ans d’accompagner par la prière et la réflexion le parcours qu’ont entrepris les évêques de la Méditerranée à l’invitation de la Conférence Épiscopale d’Italie (…) Il connaîtra comme vous le savez une étape significative en février prochain (…) car simultanément, à l’invitation du Maire de Florence, des maires de la Méditerranée se réuniront aussi. 

Je pense que le document d’Abu Dhabi et les encycliques du Pape François « Tous frères » et « Laudato si’» constituent des points de référence décisifs pour repenser la citoyenneté, en tant que fruit de la fraternité universelle et concrétisée dans l’accueil et le respect des différences. La dimension religieuse est profondément appelée en cause. 

Je considère providentiel que les Maires de la Méditerranée se retrouvent à Florence. Je crois que de la leçon de Giorgio La Pira, non pas leçon théorique mais véritable expérimentation d’une citoyenneté solidaire et libératrice, émanait une proposition concrète de politique méditerranéenne et de rencontre entre est et ouest, dans le contexte d’alors, marqué par la guerre froide.

Chère Mère, merci pour le précieux travail de prière mais aussi de réflexion que votre communauté a suscité, donnant vie à un réseau de monastères féminins de vie contemplative des différentes rives de la Méditerranée. Le petit livre qui en est résulté a été pour moi aide et réconfort, et je sais qu’il a été apprécié par de nombreux autres évêques de la Méditerranée. 

Je vous demande, à vous et aux communautés qui s’y sont associées, de continuer cette aventure, qui est un don de Dieu confié à nos pauvres forces. 

Je vous remercie de tout cœur et me recommande à vos prières.
                                                                                                             Gualtiero Card. Bassetti

« La Méditerranée ne peut-elle pas redevenir – tel est son destin ! – un centre d’attraction et de gravitation historique, spirituel et politique, essentiel pour la nouvelle histoire du monde ? 

Pourquoi ne pas commencer, justement d’ici, la nouvelle histoire de paix, d’unité et de civilisation des peuples de toute la terre ? 

Pourquoi ne pas dépasser, par un acte de foi, religieux et historique et donc également politique, dans cette perspective méditerranéenne et mondiale, toutes les divisions qui brisent encore si gravement l’unité de la famille d’Abraham ? Pour donner naissance, précisément d’ici, à cet inévitable mouvement de paix destiné à embrasser tous les peuples de la terre et destiné à édifier une ère qualitativement nouvelle de l’histoire du monde ? » Giorgio La Pira, maire de Florence de 1951 à 1965. « Abattre les murs et construire des ponts ». (1967)

 « Passons sur l’autre rive » : Communautés monastiques en voyage sur le navire qu’est l’Eglise. 

                      Réseau des Monastères, engagé dans : « Méditerranée, frontière de paix ? » 

« Je vous confie à l’intercession de l’apôtre Paul qui le premier a sillonné la Méditerranée, en affrontant dangers et adversités de toute sorte pour porter à tous l’Evangile du Christ : que son exemple vous indique les chemins par lesquels poursuivre l’engagement joyeux et libérateur de transmettre la foi en notre temps.
Je vous donne en consigne les paroles du Prophète Isaïe afin qu’elles vous transmettent l’espérance et vous communiquent, à vous et à vos communautés (…) : « Ils rebâtiront les ruines antiques, ils relèveront les restes désolés d’autrefois, ils restaureront les villes en ruines, les restes désolés des générations passées. »   Telle est l’œuvre que le Seigneur vous confie pour cet espace méditerranéen bien aimé. (…) Et regarder ce qui est déjà devenu un cimetière, comme un lieu de résurrection future en toute son étendue. »

C’est ainsi que le Pape François concluait son intervention à Bari en février 2020, durant la rencontre de réflexion et de spiritualité « Méditerranée frontière de paix ».

Les eaux de la Méditerranée ont été l’une des voies parcourues par Paul à la suite de l’évènement Jésus de Nazareth.  Celle qui a permis le voyage des traces invisibles (Sl 77,20) de l’Evangile de Jésus Christ, qui suggérait (et aurait favorisé) le rêve d’arriver aux extrémités de cette mer et de la terre alors connue. 

Nous savons bien que plus le rêve est ambitieux, plus se fait sentir le risque de l’impondérable et de l’imprévisible constitués par les eaux, car il faut naviguer en haute mer. C’est ainsi que lors du dernier voyage de Paul que raconte l’évangéliste Luc dans les Actes des Apôtres, nous sommes pris dans une tempête qui obscurcit le ciel et fait perdre l’espérance (…). (AC 27,20621)

Nous sommes perdus, dévorés par l’absence de nourriture, comme les marins qui voyageaient avec Paul, nous autres communautés monastiques méditerranéennes, qui avec l’humanité de notre temps souffrent la tempête du changement d’époque qui nous entraîne, qui partagent la souffrance de ne pas trouver tout de suite dans le ciel les références indispensables à tout marin, le soleil et les étoiles. Qui partagent dans les fibres les plus profondes de leur être les mots que David Sassoli qui fut président du Parlement Européen avait prononcés à Bari justement : « Regarder notre temps en profondeur et l’aimer davantage quand il est difficile à aimer. » 

Le réseau de prière des monastères, jeté en 2020 à Bari et qui a vu s’unir à ses travaux deux nouvelles communautés (Bénédictines, France, et Moniales de St Augustin, Espagne) répond avec force à  l’invitation renouvelée par S.E. le cardinal Bassetti, à participer par la réflexion et la prière à cette deuxième étape de « Méditerranée frontière de paix » .
Dans la tempête, et sans savoir quand et comment elle finira, nous croyons fortement qu’il est indispensable de rester justement aujourd’hui dans cette « Mare nostrum, lieu physique et spirituel où notre civilisation a pris forme, comme résultante de la rencontre entre peuples divers ». 

Comment ne pas éprouver la peur ?  Il existe cependant une peur que nous n’avions pas prise en considération : la peur évangélique, suscitée par une tombe trouvée vide et par le Crucifié rencontré Ressuscité. (…) Comme à Paul, comme à Jésus, il nous est demandé de choisir la façon de naviguer sur ces eaux, dans l’attente de découvrir la rive à l’horizon. ( …)

Notre réseau de communautés monastiques a choisi d’accompagner les travaux de ces rencontres par la prière.

N.B. Les textes ci-dessous, schéma de réflexion et réponses aux questions relatives, sont une synthèse tirée du document: « Mediterraneo, frontiera di pace ?» 2, édité par les Monache Agostiniane di Pennabili. (Florence, février 2022, en italien).

Ils contiennent une série de réponses ou de considérations rédigées en 2022 lors de la rencontre de Florence, sur la vie de communion dans la communauté, la sagesse de la tradition monastique, la contribution au dépassement du fondamentalisme, l’appel des Evêques de la Méditerranée, par les :  

Moniales de St Augustin de Pennabili et de Rossano Calabro (Italie), Clarisses de Scutari (Albanie), Carmélites d’Alep (Syrie), Religieuses de l’Ordre Maronite (Liban), Petite Famille de l’Annonciade de Ain Arik, (Palestine, Ma’in Jordanie), Clarisses de Jérusalem (Israël), Carmélites de Tanger (Maroc),  Moniales de St Augustin de Sotillo de la Adrada (Espagne), Bénédictines de Ste Lioba, Simiane-Collongue (France).

 En exergue :                                                              

 « Nos Eglises d’Afrique du Nord et du Moyen Orient sont celles qui paient le prix le plus élevé. Décimées en nombre, réduites à une petite minorité, elles ne sont pas pour autant Eglise renonciatrice, repliée sur elle-même. Au contraire, n’étant plus une Eglise préoccupée par la défense de ses espaces de pouvoir, elles ont retrouvé l’essentiel de la foi et du témoignage de ce qu’est le christianisme »

« Ce nous est une aide que d’être obligés à rester petits et dépendants du milieu qui nous accueille, contraints à partager la crise et l’insécurité du moment, sans aucune influence sur l’évolution du pays. Nous sommes ainsi reconduits à une signification primordiale de l’appel monastique : témoigner que l’homme est sur terre « étranger et pèlerin ».  (Les moines de Tibhirine)

 Schéma de réflexion 

  1. La citoyenneté, réalisée par l’intégration (travail, maison, école, liberté religieuse) permet   d’appartenir concrètement à la cité, en harmonie entre identité religieuse et cultures différentes, une harmonie capable de générer une culture.  Les cités méditerranéennes qui ont souvent subi et subissent encore aujourd’hui les conséquences dramatiques de heurts entre religions et civilisations, témoignent de la synthèse produite par les différences. 
  • Dans nos communautés, comment et combien vit-on la communion dans la diversité ? Quelle sagesse nos traditions monastiques nous transmettent-elles, quels instruments ?

 2 – La citoyenneté est aussi un espace permettant de faire naître des relations de justice, d’accueil, de croissance commune. Les différentes cultures, qui ont prodigué leur richesse au cours des siècles, doivent être préservées pour que le monde ne s’appauvrisse pas, sans pour autant négliger quelque chose de neuf dans la rencontre avec d’autres réalités, et sans ignorer le risque d’être victimes d’une sclérose culturelle (Pape François, Tous Frères, 134).

* Les communautés monastiques, microcosmes de convivence humaine, courent, elles aussi, le risque d’une « sclérose culturelle ». Ce qui peut advenir lorsque la tradition monastique n’entre pas en dialogue avec la culture contemporaine, les nouvelles générations et la diversité culturelle de ses membres.                                                                                                     

– Quels anticorps contre la sclérose notre tradition monastique a-t-elle développées, et quelle expérience notre communauté vit-elle à ce propos ?

3 – L’établissement de la citoyenneté préserve le discours religieux du fondamentalisme  religieux ou confessionnel, qui instrumentalise la religion en profitant de la crise d’identité de beaucoup de nos jeunes.

  • Quelle contribution le monachisme féminin, forme de vie radicale dotée d’une identité forte, peut-il donner pour dépasser les fondamentalismes ? Le rapport avec l’Ecriture – priée, méditée, étudiée, peut-il contribuer à un éclaircissement, et à quelles conditions ?

4- Les villes, avec les communautés religieuses, les associations, les familles, les institutions, ont le droit de faire entendre leur voix. Or elles ne sont jamais convoquées lorsqu’il s’agit des crises internationales, alors que ce sont elles qui subissent dévastations et bombardements. Elles ne sont jamais consultées lorsque l’on aborde des questions liées aux flux migratoires et aux lois qui déterminent la « citoyenneté », alors que ce sont elles qui supportent le poids de l’accueil, de la marginalité et du transit des migrants.   

  •  En tant que communauté monastique insérée dans le tissu d’une église locale et d’une ville ou un pays donné, quel message désirez-vous faire parvenir aux évêques (réunis à Florence ?)

 Réponses 

  1. La communion dans la diversité 

La réponse se trouve dans la communauté elle-même, constituée souvent de personnes venues d’horizons différents, et liées par une Règle fondée sur l’Evangile, dans le rapport  continué,  avec la Parole de Dieu, et qui tend précisément à ce but suivant le désir de la fondatrice ou du fondateur : le cœur étant invité à s’élargir, au moyen d’un « amour humble », la tension, dans la vie communautaire de prière ou de travail, à être « un seul cœur et une seule âme » (repris entre autres dans la Règle de St Augustin),  la réconciliation si nécessaire, et en regardant et imitant l’attitude de Jésus envers les personnes différentes ou étrangères (la Samaritaine, le centurion romain). Une expérience quotidienne, ponctuée et renforcée par l’exercice de la synodalité dans les décisions. L’aspect œcuménique, présent dans quelques communautés, « guérit les divisions », et le travail artisanal mené ensemble contribue à solidifier cet accord profond, à la construction duquel contribue non sans défi la convivence entre générations, source de dons réciproques si bien vécue.  Fraternité universelle dans un seul Père qui permet de se reconnaître sœurs, au prix de l’entrainement persévérant à la patience, l’élasticité, la magnanimité, la transparence.

  • Les anticorps contre la sclérose 

Là aussi, le rapport de fraternité entre les sœurs, diverses de par leur origine, leur culture,  leur âge, souligné dans les différentes Règles et constitutions, sagesse de la tradition monastique. La mise en commun totale des biens, matériels et autant que possible spirituels, qui est toujours é refaire, la connaissance d’autres expériences monastiques, mais aussi ouverture aux personnes du voisinage, dans un rapport enrichissant de réciprocité. Venir à la rencontre des personnes d’alentour dans les situations difficiles, de marginalisation, d’appauvrissement vécu ensemble à cause d’une grave crise économique (Moniales libanaises Maronites).  Mais aussi l’étude, la culture, l’essai de lire les signes des temps, se tenir au courant des évènements environnants et de ceux du monde. Moments d’analyse des nouvelles données par les médias, en essayant avec la foi d’y lire les plans de Dieu. 

Pour les religieuses de nationalité étrangère dans un pays, apprendre la langue, prier, suivre les célébrations dans cette langue locale, connaître la culture, la religion, qui est l’islam en général … Accueillir aussi les étrangers, les pèlerins (Jordanie, Israël), et donner davantage d’importance aux expériences positives d’accueil (Albanie) ou d’intégration.  

Ecouter les hôtes accueillis. Ecouter aussi les laïcs associés aux différentes spiritualités, souvent des familles.  Par tout cela, créer des ponts.  

Le tout avec une présence simple, humble, dépourvue de tout pouvoir, car sans être vraiment intégrées dans la réalité locale, faute d’avoir accès à la citoyenneté (Maghreb).

Primordial contre la sclérose : l’accueil, le contact avec les jeunes, fortement souligné et demandant un plus de mise en œuvre. 

  • L’appel aux évêques

La paix se construisant par de petits pas de chaque jour, vous travaillez pour des villes et un monde plus fraternel.   Nous voudrions donc avant tout vous remercier pour cette initiative, de réunir les peuples méditerranéens par la rencontre « Méditerranée, frontière de paix. Nous souhaiterions que vous persévériez en ce sens, en appuyant les initiatives provenant de l’Eglise et de la société, vers la justice, la paix et l’intégration de tant de personnes arrivant sur nos côtes. Ceci par une formation solide dans les paroisses ou autres groupes, pour accroître la sensibilité et pousser à l’action pratique » 

Nous vous remercions pour l’estime que vous manifestez envers la place de la vie monastique dans l’Eglise d’aujourd’hui.

« Vous avez introduit, en vous adressant à des monastères féminins, l’altérité, si importante pour l’Eglise, formée d’hommes et de femmes qui ensemble forment le peuple de Dieu, un peuple sacerdotal. 

Question : « Pouvez-vous inventer d’autres signes de cette altérité dans vos réunions ? »

Pourriez-vous mettre en évidence des signes concrets pour construire la fraternité dans vos diocèses ? Pourrions-nous les chercher ensemble ? 

Pour manifester la fraternité, y compris au niveau interreligieux, ne pourrait-on pas créer des moments privilégiés, par exemple une Fête commune des enfants d’Abraham ? 

Chercher comment créer, à différents niveaux, une culture de la confiance.  Désir de concentrer votre attention sur les jeunes : Comment les enthousiasmer par des projets aussi attrayants que peuvent être pour certains le projet jihadiste ?